Je m'avance vers le plat creux en or rempli d'eau, face à nous. J'y amène Jude, la tenant par la main, et cherche dans les étagères situés en dessous du plat. J'en sors une petite fiole transparente, dans laquelle vacille un filament argenté pas plus large qu'un cheveu. Le versant lentement dans l'eau, je sors ma baguette, remue le tout et jette un regard à Jude.
Prête pour revivre notre première rencontre ? Lui dis-je tendrement, serrant un peu plus sa main. Après son consentement, je plonge la tête dans l'eau, et nous nous faisons aspirés.
Une année s'écoule, puis deux. Mais dans un sens bien différent de l'habituel.

Nous nous tenons dans un endroit où le calme n'existe pas. Les gens ne cessent d'aller et de venir, les bras chargés de papiers en tout genre. Des bureaux sont placés ci et là, séparés par des cloisons boisées. Les téléphones ne cessent de sonner, et une forte odeur de café peut se faire sentir. De temps en temps, une personne parle plus fort que les autres, pour adresser un message important ou simplement signaler la panne d'une des machines à café. Nous remarquons avec amusement que personne ne nous remarque, et qu'ils nous passent à travers sans même s'en rendre compte. Ce doit être la même chose lorsqu'on est fantôme, je pense. Soudainement, je me distingue clairement, un peu plus jeune qu'actuellement, portant un jean délavé et un pull gris à motifs variés. Je fais un signe à une jeune fille, lui souriant, et essayant de me faire entendre parmi la foule. Elle s'avance, les bras chargés de documents, du haut de sa petite taille, et tente de se frayer un chemin. Elle arrive enfin face à mon moi plus jeune, et lui sourit. Je reconnais enfin Jude, plus jeune... Le jour de notre rencontre, ce 23 septembre 2018. Nous nous avançons pour écouter notre propre conversation, et nous nous suivons pour aller à ce lieu où nos nous plus jeunes voulaient discuter. Je sais que nous allons discuter du métier, échanger quelques futilités et formules de politesse, et boire un thé pour moi, et un chocolat chaud pour elle. Et nous sourions, tous les quatre. Heureux de vivre, ou revivre, ce moment doux et agréable.

Il est vrai qu'elle n'a pas perdu en pertinence, ni en courage ou en force. A défaut d'être grande et baraquée, elle a une force que peu ont : la force du cœur, celle qui permet d'aimer, de protéger, de défendre. Celle qui permet la vie, plutôt que la mort. Celle qui sort toujours victorieuse, lorsqu'elle est alliée à la détermination, et au courage. De cette force là, Jude était et est toujours pleine, comme elle est pleine d’énergie, de vie et d'entrain. Un vrai bout-en-train.

L'après-midi défile si vite qu'aucun de nous quatre ne doit s'en rendre compte. Les jeunes discutent tandis que les vieux les contemplent, se remémorant ce doux moment comme s'ils le vivent. Un étrange moment, d'autant que les jeunes ne se doutent de rien, ils parlent naïvement. Ils n'imaginent pas que deux ans plus tard, ils combattraient le mal, côtes à côtes, mariés et parents d'un adorable enfant. Ils n'imaginaient pas non plus avoir affaire à des drames familiaux complexes causés par une demi-sœur emmerdante ou un père espiègle. Ni à une belle-mère rigide, et non plus à une marraine hystérique. Ils espéraient encore avoir une vie normale, quelle insouciance !